Annulation d'une décision de transfert "Dublin" concernant une femme enceinte et sa fille
- constancerudloff
- 18 févr. 2022
- 4 min de lecture
Dans une décision du 6 octobre 2021 n° 2108525, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône décidant du transfert de la requérante aux autorités italiennes aux motifs qu'en ne mettant pas en œuvre la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement "Dublin", le préfet avait entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation.

Dans cette affaire, il s'agissait d'une jeune femme guinéenne et de sa petite fille âgée de 5 ans, ayant fui leur pays en raison des mutilations sexuelles qu'elles avaient subies ou qu'elles risquaient d'y subir.
Arrivées en France après un long parcours d'exil, elles se sont présentées à la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile pour y solliciter l’asile. Suite à un entretien individuel en préfecture et à la prise de leurs empreintes digitales, la requérante était informée de son placement en procédure dite "Dublin", aux motifs que ses empreintes avaient été identifiées au sein de la base EURODAC permettant d'établir qu'elle aurait franchi irrégulièrement la frontière italienne quelques semaines avant d'arriver en France.
En conséquence, la préfecture saisissait l’Italie d’une demande de prise en charge en application de l’article 13.1 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013 dit Dublin III.
En l’absence de réponse expresse dans un délai de deux mois, les autorités italiennes étaient réputées avoir donné leur accord implicitement en application de l’article 22.7 du règlement susvisé.
C’est ainsi que le préfet décidait du transfert de la requérante et de sa fille en Italie, état responsable de l’examen de sa demande d’asile.
Rappel : Le règlement "Dublin" et la procédure de détermination de l’État responsable
Selon le règlement "Dublin", un seul État membre est responsable de l’examen d’une demande d’asile dans l’Union européenne. Cela signifie qu'un demandeur d'asile ne peut choisir l’État au sein duquel sa demande d'asile sera examinée.
Selon ce règlement :
si une demande d’asile a déjà été faite dans un autre État membre de l’UE, ce pays reste responsable de l’examen de la demande d’asile (que la demande soit encore en cours d’examen ou rejetée) ;
si aucune demande d'asile n'a été déposée ailleurs, le règlement « Dublin III » prévoit des critères examinés les uns après les autres qui permettront à la France de déterminer l’État responsable.
À titre d’exemple, il peut s’agir de l’État qui a accordé un visa ou un titre de séjour, de celui par lequel la personne est entrée sur le territoire de l’UE et dans lequel elle a été contrôlé en premier. Cette responsabilité de l’État membre prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière lors duquel les empreintes ont été prises. D’autres critères, plus positifs, sont prévus comme la minorité ou les liens familiaux en France (articles 7 à 17 du règlement).
Même si elle n’est pas l’État responsable de la demande d’asile, la France a la possibilité d’examiner la demande sur le fondement de la clause discrétionnaire. C’est pourquoi il faut donner à la préfecture toute information et tout document utile qui pourrait conduire la France à examiner la demande d’asile, comme :
la présence en France de membres de votre famille en situation régulière, en demande d’asile ou disposant d’une protection ;
des problèmes de santé ;
si vous êtes enceinte ;
des mauvais traitements subis dans l’État de l’Union européenne dans lequel on veut vous renvoyer
L'opportunité du recours contre une décision de transfert "Dublin"
Si une décision de transfert Dublin peut faire l'objet d'un recours dans un délai de 48 heures à compter de sa notification (si elle est assortie d'une décision d'assignation à résidence ou de placement en centre de rétention administratif) , ce recours ne doit pas être systématique et nécessite au préalable une analyse au cas par cas de la situation par un.e avocat.e spécialisé.e.
En effet, en cas de rejet du recours, le délai de 6 mois avant que la France ne devienne l’État responsable de la demande d'asile de l'intéressé recommencera à courir à compter de la notification de la décision du tribunal à l'administration. Dans certains cas, un recours contre la décision de transfert peut donc s'avérer contreproductif, en particulier si le délai de 6 mois arrive bientôt à expiration.
Dans le cas présent, l'opportunité du recours penchait largement en faveur de ce dernier, pour deux raisons principales :
la décision de la préfecture était intervenue très rapidement après l'acceptation de l’État responsable, ce qui faisait que le délai de 6 mois n'était qu'à son commencement ;
la requérante et sa fille se situaient dans une situation de particulière vulnérabilité légitimant qu’il soit fait application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 précité.
Le cabinet a donc développé plusieurs arguments afin de convaincre le juge administratif de l'illégalité de la décision prise par la préfecture compte tenu :
- de l'état de grossesse de la requérante,
- de l'état de santé de sa fille de 5 ans suivi en endocrino-pédiatrie,
- de l'intérêt supérieur de sa fille, scolarisée en France et dont le père résidait également en France,
- de la situation de dépendance de la requérante vis à vis de son conjoint,
- du droit au respect de la vie privée et familiale des requérantes.
Au final, le juge administratif a suivi ce raisonnement en considérant que le préfet aurait du faire usage de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement précité, dans la mesure où la requérante était une jeune femme enceinte accompagnée de sa fille âgée de 5 ans suivie en endocrino-pédiatrie, toutes deux demandeuses d'asile, et dont le concubin se trouvait également en France. Si ce dernier était au moment de la décision en situation irrégulière (ce qui aurait pu être un élément défavorable), le juge retient qu'il était démontré que la France avait été l’État responsable de l'examen de sa demande d'asile suite à l'annulation d'un précédent arrêté par un jugement n°1801067 du tribunal administratif de Marseille du 15 février 2018.
Le tribunal administratif a donc fait droit à l'argumentation soulevée par le cabinet, ce qui a permis de faire annuler les arrêtés de transfert et d'assignation à résidence et à la requérante et à sa fille de voir leurs demandes d'asiles enregistrées en "procédure normale" et donc étudiées par la France.
Pour accéder à la décision du tribunal administratif cliquez ici.
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